Rian Liber est de retour sur le blog avec une seconde nouvelle ! Cette fois il est question de secte, de bar, de piliers de comptoir et de rails secrets …
Préambule
Oh, salut ! Ravi de te retrouver pour une seconde nouvelle sur l’histoire de Montpellier ! J’espère que ma première nouvelle sur le Monstre du Loch Crès, t’a plu (si tu ne l’as pas lu c’est par là).
Durant les prochaines semaines, tu découvriras sur ce site d’autres courtes histoires farfelues de mon cru, au rythme d’une par semaine, prenant place dans la capitale du Languedoc-Roussillon et ses environs immédiats : Montpellier. Il s’agit d’élucubrations de mon esprit.
Bonne lecture !
La secte des Pi’Lié d’Bar
Après notre séance de natation au Crès au milieu des canards, il est temps de retourner en ville.
Cette première escapade t’a sûrement donné soif, quoi de plus naturel. De fait, après un crochet par une douche – ou pas si tu es un gros ou une grosse dégueulasse – afin d’être présentable, dépendant de tes préférences, face aux chouquettes(1) ou aux beaux garçons de la ville, tu te dirigeras vraisemblablement vers l’un des nombreux débits de boissons du centre-ville.
Le soleil est encore bien présent dans le ciel, en ce début de soirée une brise légère t’enveloppe, te berçant de sa douce chaleur estivale(2), les piaillements des martinets se portent jusqu’à tes oreilles et si tu lèves le nez tu pourras admirer leur ballet dans les cieux, promesse d’une belle et chaude soirée. Dans cet agréable environnement, tes pieds malins t’ont baladé un brin afin de trouver ce verre plein si demandé par ton gosier asséché. Ton choix se porte sur une terrasse à l’abri des vieux bâtiments du centre.
La commande arrive. Sans plus attendre tu goûtes ce breuvage tant désiré ; la paix, l’harmonie s’emparent complètement de toi.
Des amis vont te rejoindre, ou tu resteras seul(e), cela n’a aucune importance à cet instant présent car, de toute manière, notre propos est ailleurs.
Notre propos se trouve au comptoir, à siroter un vin blanc, ou non loin de toi à l’extérieur avec sa bière, seul ou accompagné, le visage rougi par les nombreux godets de la vie, la peau souvent tannée par la « pause » sur les terrasses ensoleillées. Allant et venant, sans but apparent, discret ou exubérant au point de venir te gratter l’amitié, brisant ainsi ta béatitude béate par sa discussion absurde et son haleine de fond de bouteille vinaigrée.
Je veux te parler des poivrots, souvent et communément nommé : les piliers de comptoirs.
Attention ! Je parle des Véritables Piliers de Comptoirs(3), ceux qui sont toujours présents, par tous les temps, qu’il pleuve ou qu’il vente, toujours un verre plein à la main et quand il est vide, on le plaint très rapidement. Ces êtres sont partout et chaque bar possède le ou les siens propres, même si certains piliers de comptoirs (que nous appellerons PdC pour des raisons évidentes de flemme(4) vont et viennent entre plusieurs bars, on les nomme alors PMdC : (« Pilier Mobile de Comptoir »).
Ce que vous ne savez pas, c’est que ces PdC se connaissent tous entre eux. En effet, derrière ces visages si sympathiques d’alcooliques se cachent les membres d’une secte très puissante à Montpellier : la secte des Pi’Lié d’Bar.
Présente depuis des temps immémoriaux dans tous les empires et royaumes, assise sur des tabourets ou à même le sol dans toutes les contrées du monde, traversant les âges et les révolutions tout comme les dictatures et les républiques, la secte des Pi’Lié d’Bar a ses ramifications partout où il y a un débit de boisson, et son histoire remonte aux premiers instants où quelqu’un a décidé de vendre de l’alcool pour subvenir aux besoins des soiffards de son clan. Montpellier n’y a pas échappé. Notons au passage que chaque ramification à un nom différent afin de protéger ses consœurs en cas de problème, mais qu’elles restent toutes liées entre elles. Son crédo, In vinasse veritas, est respecté par tous les membres de la secte, lesquels ont pour but ultime de protéger les bars, considérés comme des hauts lieux de socialisation et de partage. Et d’ivresse.
Pour y entrer – dans la secte, pas dans le bar – il faut boire, mais pas n’importe où, ni n’importe comment. L’initiation est longue, arrosée et âpre (mais surtout arrosée) et le nouveau venu en ressort avec une faculté d’ingurgitation et une résistance à l’alcool époustouflante. En effet, chaque membre est quasiment immunisé aux effets nocifs de l’alcool, au point d’être devenu expert dans la simulation d’homme bourré. Même si tu surprends un PdC vomir après une soirée bien liquide, n’y crois pas un instant : il fait semblant ! Il faudrait de quoi tuer un éléphant pour donner ne serait-ce que le tournis à l’un d’eux.
Chaque jour, chaque nuit, ils veillent au grain, protégeant, surveillant leurs bars et la faune qui les habite tel Batman un verre à la main. Et comme Batman, dans chaque ville, ils ont un repère secret.
Dans les prochaines lignes il te sera révélé le lieu de culte et de rassemblement à Montpellier, cependant, je dois te prévenir de ne pas t’y aventurer sans y être expressément invité(e), au risque de comprendre le véritable sens de « boire pour oublier ».
Aux portes de l’Écusson, près des Halles Laissac, au niveau de la station de tramway Observatoire, au pied du boulevard du Jeu de Paume, à la jonction entre vieux centre-ville et Gambetta, à 43°36’23,5” lat. N et 3°52’33,2” long. E, se trouve un bar, sur une place avec une fontaine en son centre et un arbres à chaque coin : le Green Coffee.
Un lieu tout à fait ordinaire à première vue. Un lieu de passage très fréquenté qui n’aurait pas d’intérêt en dehors du trompe l’œil faisant face au bar.
Et pourtant, ce lieu modeste cache bien plus.
Regarde à tes pieds.
Allez.
Si tu es chez toi ou à un endroit autre que celui magistralement décrit plus haut, tu verras tes pieds. Si, si, je t’assure.
Si au contraire tu lis ces lignes face au lieu-dit, en plus de voir tes pieds, tu verras la ligne de tramway passant devant le Green Coffee, ainsi qu’une singularité. Une ligne de tramway se détache de la ligne principale pour buter au pied d’un arbre faisant l’un des coins de la place.
L’histoire officielle mentionne un projet de raccord entre les deux lignes de tramway présentes à cette endroit qui a échoué à cause des conflits entre différents acteurs urbains (mairie, propriétaire du bar, voisinage, protection de la nature, mafia écureuil) ; d’autres diront que l’ingénieur responsable était bourré le jour de la pose des rails et a lu son plan à l’envers.
En vérité et je l’écris : l’ingénieur est un membre des Pi’Lié d’Bar. Par son entremise et les connexions de la secte avec les plus hautes strates du pouvoir politique montpelliérain, il raccorda les rails du tramway à des rails secrets descendant en spirale vers une grotte naturelle aménagée faisant office de quartier général des PdC de la ville. Cet accès est le moyen le plus rapide, via un wagon, pour ces agents de l’ivresse liquide, de descendre dans les abysses éthyliques de leurs rites sacrés.
Alors, si par hasard tu passes devant ce lieu au retour de l’une de tes soirées, quand la nuit est à son apogée, tu auras peut-être l’opportunité de voir un wagon transporter devant toi des PdC en bures violettes et disparaître dans une trappe, elle aussi secrète, d’où tu pourras entendre des chants de beuveries remonter des profondeurs de la terre ainsi que les cris d’un foie novice martyrisé. Dernier conseil : dans cette situation, si tu ne veux pas être à sa place, cache-toi.
Yecʼhed mat ! (5)
Hmm ? Oui ? Il y a un problème ? Ah bon ?
Quid ?
Ah je vois, tu te demandes comment j’ai réussi à obtenir toutes ces informations sans la moindre égratignure ni trou noir. Et bien, mon insatiable curiosité m’a vite poussé à développer des capacités de déguisement et de discrétion ; indispensable dans mes recherches, ainsi que dans ma quête de connaissance. Je sais que je peux compter sur elles, autant que sur ma grande agilité pour rester indétectable.
Pré-Black Out
Ils l’ont raccordée.
Les lignes de tramways font leur jonction.
L’arbre a été abattu.
Je ne sais comment ils ont su que j’allais écrire une histoire à leur sujet mais le fait est là, le passage n’est plus ainsi que tout le complexe souterrain, comme si tout cela n’avait jamais existé.
Ils vont s’en prendre à moi, c’est certain.
À chaque fois que je traîne dans un bar je sens des regards appuyés sur moi, épiant chacun de mes levers de coude, chaque gorgée, je ne peux plus me vidanger sans être suivi par un PdC partageant soi-disant la même pulsion primaire.
Une odeur d’alcool m’accompagne dans tous mes déplacements en ville, d’abord ténue, elle se fait chaque jour plus intense, et maintenant je distingue dans ses vapeurs les odeurs de vodka, de whisky, de rhum, mélangées parfois avec une clairette du Languedoc. Elles m’enveloppent toujours un peu plus. Je n’en dors plus.
J’écris ces lignes à la hâte, ma main fébrile est mue par l’urgence, je compte chacun de mes battements de cœur comme si c’était le dernier. L’odeur d’alcool a soudainement disparu plus tôt dans la soirée pour réapparaître plus forte que jamais au milieu de la nuit, me réveillant en sursaut. Ils sont tout proches.
Ils vont m’embarquer pour noyer littéralement ma mémoire et mon foie. Il ne faut pas que j’oublie. Il faut que je cache mes écrits.
On tape à la porte.
L’ai-je bien fermée ? Il faut que je vérifie.
Rendez vous la semaine prochaine pour une troisième nouvelle loufoque !
🖊 Auteur : Rian Liber
🖌 Illustration : Sereine Coutellier
(1) Argot montpelliérain désignant « les jolies filles », spécifiquement celles de Montpellier. Forcément.
(2) J’ai arbitrairement choisi l’été comme espace-temps car c’est moins agréable de se baigner en hiver dans le lac du Crès. Et j’aime pas le froid. Tu me diras : « Pourquoi pas au printemps ou en automne ? », je te répondrais que c’est moi qui écrit donc zut !
(3) Labellisé AOC : Appellation d’Origine Cuitée.
(4) Et pas PC pour des raisons évidentes de copyright.
(5) “Santé” en breton.
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